jeudi 24 juillet 2008

La Solitaire - cinquième partie

Notre silence n'aurait pas semblé si oppressant si l'endroit avait été agréable et c'est certainement pour cela que Breval se mit à parler :
« Que pensez-vous qu'il y ait là-bas ? » fit-il en désignant les marécages du menton. Je haussai les épaules quand il se tourna vers moi pour avoir ma réponse. Comment aurais-je pu le savoir, d'ailleurs ? Moi qui jamais ne m'étais aventurée en dehors de ma forêt, ma si belle forêt de Cérez... la reverrai-je un jour ? Reviendrai-je en vie sous la frondaison verdoyante qui fut si longtemps ma maison ? Tout en méditant sur ma condition actuelle je continuai d'avancer, mais sans faire attention où je mettais les pieds. Nous avions laissé Solena et la licorne à l'entrée du marais, là-bas ils ne craignaient rien et de toute manière l'endroit n'était pas très praticable pour eux.

Je sentis ma botte rester collée au sol lorsque je soulevai ma jambe, ce qui me tira subitement de ma torpeur. Nous venions d'entrer dans le marécage, et ça et là des flaques boueuses, plus ou moins profondes, trompaient les aventuriers inconscients tel que nous. Breval me criait de regarder où je marchais. Je le rejoignis rapidement sur le petit sentier qui serpentais sur le marais. Nous nous enfoncions de plus en plus dans la végétation humide, composée de mousses et de lianes qui pendaient de rares arbres décharnés. De la fumée à l'odeur âcre s'échappait des marécages et nous piquait la gorge et les yeux.
« Il semblerait que l'eau des marais soit acide... regardez cette feuille, elle s'effrite. » murmura Breval d'une voix enrouée, agenouillé près d'une flaque où une feuille venait de tomber.
« Oui et bien ne vous approchez pas ! N'allez pas tomber vous aussi... »

Il ne m'écoutait pas et alors que je tentai de l'attraper et de le tirer en arrière, il se releva brusquement, tourna la tête de tous côtés comme s'il cherchait quelque chose... mais il n'y avait rien ! Je l'imitai pour voir, qui sait, peut-être avait-il repéré un mouvement, un son... Le temps pour moi de me remettre face à lui et je m'aperçus qu'il était déjà parti en avant, il marchait très vite ! Que lui arrivait-il ? Je l'appelai, mais ma voix se brisa à cause de l'atmosphère aigre. Je me lancai alors à sa poursuite.

Je l'entendis crier... non... il parlait à quelqu'un ! Interloquée je tendis l'oreille. « J'arrive ! Attendez-moi, j'arrive ! » disait-il. Je devais me presser et revenir à sa hauteur, car je pressentais qu'il allait droit à la mort, l'imbécile, attiré par je ne sais quelle créature ! Enfin, il s'arrêta ! En quelques foulées, je le rattrapai. Il était en admiration devant un petit lac d'où s'évaporait la même fumée acide que précédemment. Trois femmes à la peau transparente, les cheveux blancs voletant autour de leurs visages, les yeux vitreux, récitaient probablement quelques formules magiques afin d'attirer Breval dans le marais, mais je n'entendais rien de leur litanie. Il était subjugué, là, les yeux dans le vide. J'étais perplexe. Comment le sortir de cet état léthargique ?

Alors il commença à descendre vers le lac, les bras grands ouverts, ses lèvres formaient des mots mais aucun son n'en sortait. Je me jetai sur lui pour l'empêcher d'entrer dans l'eau. Il me repoussa vivement, il était bien plus fort que moi. Soudain, au milieu de cet endroit silencieux un écho strident se fit entendre, j'eus du mal à l'identifier. Les trois femmes se moquaient-elles de moi ? Il s'agissait bien de leurs rires... un son froid sorti tout droit des abîmes... Qu'importe, elles pouvaient bien rire ! J'attrapai les jambes du héros et réussis à le plaquer au sol, face contre terre. Petite minute de répit. Une branche assez solide ne demandait qu'à m'aider, je la saisis à deux mains... et lorsque Breval releva la tête je le frappai de toutes mes forces. Il tomba de nouveau le nez dans la terre, assommé. Quelle barbare je pouvais être !

Je repris mes esprits et mon souffle. Les trois créatures aquatiques avaient disparu, les ondes à la surface du lac me confirmaient qu'elles étaient reparties. Aussi bizarre que cela puisse paraître j'eus une folle envie de rire, de rire de la situation, de le voir étendu là... un héros... mon œil !

Mais nous ne pouvions rester ici. Lorsqu'il se réveillerait elles reviendraient le chercher ! Je fabriquai en toute hâte de quoi le transporter. Puis je me mis en route, il valait mieux que nous soyons sortis avant la tombée de la nuit.

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